« Ce qui est rejeté du symbolique, reparait dans le réel. Telle est la clé de ce qu’on appelle le symptôme. Le symptôme, c’est le nœud réel où est la vérité du sujet. [1] »
Pointer les oreilles vers le ciel…
Mon exposé d’aujourd’hui ne sera pas forcément disruptif. Mot extrait du flot continu d’information, anglicisme, néologisme, provenant du mot disruptivity alliant, dans le concert bon enfant de la bienveillance contemporaine, la fraîcheur de la séparation ou de la dispersion avec la force de l’innovation de la rupture. Non, il ne s’agit pas d’un nouveau slogan publicitaire. Plutôt le support pressé d’une ingénierie managériale prônant l’oubli, l’effacement de l’Histoire des peuples et de celle, croisée, des individus. Un savant laminoir tentant l’achèvement dès l’école maternelle des capacités de symbolisation et de subjectivation. Comment penser, tenter de mettre au travail, ces coups répétés, assénés, autrement que comme de micro-traumatismes propres à affaiblir notre raisonnement ou nos capacités critiques ? On connaissait l’anaclitisme comme réponse à un impossible de la nécessaire fusion primaire. La clinique de l’abandon peut-elle ne pas étayer celle de l’abandon dans le social ? Chez les enfants séparés, Lacan lors d’une discussion avec Jenny Aubry pouvait évoquer l’étude du langage des enfants, de nature à élucider la structure de leurs relations sous son aspect le plus profond et décisif [2].
Ce discours issu du merchandising, à quoi ça mène ? Le savoir, ce n’est pas de savoir ce que l’Autre sait, c’est de savoir ce qu’il veut, à savoir avec sa forme, sa forme en-forme de a, qui s’ébauche tout à fait autrement que dans un miroir, mais par une exploration à peine effleurée d’ailleurs de la perversion, qui nous fait dire que cette topologie qui se dessine et que précise à de bien autres niveaux que des expériences pathologiques, l’avancée du savoir, qu’est-ce que ça veut ? A quoi ça mène ? ( Ce n’est pas tout à fait d’ailleurs la même chose [3]).
On en trouve la trace dès la première page de Google : « A Year Of Retail Disruption. », que l’on peut traduire par « Une année de perturbation. » « Technology will continue to make it easier and MORE FUN to shop. », la technologie continuera de rendre plus faciles et plus amusants vos achats. Elle imprègne dès maintanant le cerveau d’enfants de 2 ans, qui doivent, dès la maternelle apprendre le code, poussés par des enseignants aguerris en ESPE [4], aux pratiques des capsules et autres engins spatiaux issus des sciences dites de l’information qui – ne constatons nous-pas ? – occasionneront, si nous ne changeons pas de paradigme, des symptômes.
Dans ce monde-là, quelle place pour une écoute du sujet de l’inconscient ? Notre société développe pourtant, par des levées de fonds toujours plus exagérées, des trésors d’attention, pour une plus-value inversement proportionnelle au développement des individus. Les radiotélescopes pointent leurs oreilles géantes vers le ciel afin de capter le moindre signe de vie. Cette recherche alimente l’imaginaire [5]. On peut lire : « La sonde Juno de la Nasa a réussi à se mettre en orbite autour de Jupiter, dont elle doit percer les mystères. En attendant, L’Express vous propose d’écouter les « chants » magnétiques de la géante gazeuse. » On nous invite à rêver aux doux chants des criquets.
Inversement, les signes de souffrance et la psychopathologie des liens dans les institutions n’ont peut-être jamais été autant assourdis, ignorés, forclos, ne sont peut-être jamais autant restés lettre morte dans notre modernité..
Remuer la queue: Signe ou signifiant ?
[…] Le signifiant, à l’envers du signe, n’est pas ce qui représente quelque chose pour quelqu’un, c’est ce qui représente précisément le sujet pour un autre signifiant. Ma chienne est en quête de mes signes et puis elle parle, comme vous le savez; pourquoi est-ce que son parler n’est pas un langage ?
Parce que justement je suis pour elle quelque chose qui peut lui donner des signes, mais qui ne peut pas lui donner de signifiant.
La distinction de la parole, comme elle peut exister au niveau préverbal, et du langage consiste justement dans une émergence de la fonction du signifiant [6]. […]
Tout dépend :
1) du sujet auquel appartient l’appendice caudal,
2) de l’état de réceptivité de l’allocutaire.
« L’histoire d’une folie, d’une névrose ne se réduit pas à celle d’un ratage individuel, c’est d’abord le témoignage d’un Sujet qui est en attente, en souffrance, porté par celui qu’on ne peut récuser sous prétexte que ce témoignage est maladroit, obscur, et prend parfois les formes du scandale et de l’horreur. » écrit Jean Clavreul [7].
Quelles sont les opérations nécessaires pour que du sujet puisse se produire au lieu du grand Autre qui lui préexiste ?
Comment quelqu’un advient-il au lieu du sujet ? La pulsion invocante se limiterait-elle à la sphère de l’infans ? L’institution scolaire, l’hôpital, l’entreprise resteraient-elles sourdes à reconnaître un sujet en place de collaborateur, de patient, d’élève ?
[1] Lacan, J. « séminaire XV : L’acte psychanalytique. », 1967-1968
[2] Aubry, J. « Psychanalyse des enfants séparés », Denoêl, 2003, pp.93
[3] Lacan, J. « séminaire XVI : D’un Autre à l’autre. » , Séance du 7 mai 1969
[4] ESPE : Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education
[5] SON. Les « criquets extraterrestres » de Jupiter capturés pour la première fois in L’Express du 5.07.2016
[6] Lacan, J. « Séminaire IX: L’identification », séance du 6.12.1961
[7] Clavreul, J. « Loi, Ethique et Psychanalyse. », Hermann, 2014, p. 41